35

Le Sceptre du Pouvoir serré dans sa main droite, suivi d’un cortège de huit massacreurs, Shimrra pénétra dans le Grand Hall des Convergences à très grandes enjambées, au point qu’Onimi était obligé de courir pour ne pas se laisser distancer. Alertés de l’arrivée du Seigneur Suprême, tous les membres de l’assistance, y compris Nom Anor, avaient adopté la position d’obédience. Les guerriers avaient un genou à terre, les quatre oracles la tête baissée en marque de respect et d’appréhension. Une forte odeur de sang sacrificiel flottait encore dans le hall, à laquelle se mêlaient celles du corail yorik, des encens et des pétales de fleurs qu’on avait éparpillés afin qu’ils soient foulés par les pieds du Seigneur Suprême.

Shimrra gagna immédiatement son trône. Il n’y resta assis que quelques instants avant de se relever et de commencer à faire les cent pas. Onimi, confus, tenta de lui emboîter le pas, se retrouvant emmêlé dans les pans du manteau de peau tannée du Seigneur Suprême.

— Pourquoi a-t-on interrompu ma méditation ? Pourquoi m’a-t-on obligé à écourter ma séance de communion avec les dieux, hein ? demanda Shimrra à l’assistance. Mon rôle, dans cette dernière campagne, serait-il moins important que le tien, Suprême Commandeur Laait ? Ou que le vôtre ? ajouta-t-il en adressant également un regard sinistre aux oracles.

Laait demeura agenouillé.

— Ô Suprême, le Maître de Guerre m’a chargé de réclamer une audience de sa part, aussitôt qu’il vous serait possible de me recevoir.

— Eh bien, le Maître de Guerre Nas Choka est-il si peu occupé qu’il trouve le temps de communiquer avec les individus de ton espèce ?

— Redoutable Seigneur, le Maître de Guerre n’est pas à proprement parler resté inactif, dit Laait avec une pointe d’exaspération dans la voix. Engagées à Muscave, ses forces ont terrassé celles de l’ennemi. C’est ainsi qu’il a été en mesure d’envoyer vers Zonama Sekot un détachement pour escorter ce vaisseau moribond qui constitue notre arme secrète.

Shimrra soupira longuement.

— Ai-je vraiment besoin d’écouter tout ça, Suprême Commandeur ? Ne viens-je pas de te dire que ta requête prétendument urgente avait interrompu ma communion avec les dieux ?

Laait frappa ses épaules de ses poings croisés pour saluer.

— J’implore votre pardon, Grand Seigneur. Je suppose que vous devez donc déjà savoir que Zonama Sekot n’est défendue que par un petit contingent de chasseurs ennemis.

— Bien entendu.

— Et que notre commandeur tactique a détaché des coraux skippers dans le but de détruire ces chasseurs…

— Eh bien, où veux-tu en venir ? s’impatienta Shimrra. Tu veux me faire mourir d’ennui avec tes déclarations creuses ?

A nouveau, Laait croisa les poings.

— Bien entendu, les dieux ont dû vous dire aussi que nos coraux skippers avaient rencontré une forte résistance de la part de vaisseaux vivants…

Shimrra, sur le point de répondre, s’interrompit brusquement et dévisagea le suprême commandeur.

— Puissant Seigneur ? avança Onimi dans l’espoir de susciter une réponse.

— Des vaisseaux vivants, dis-tu… fit enfin Shimrra.

Laait hocha prestement la tête.

— Des engins qui non seulement sont l’égal de nos coraux skippers en taille et en vitesse, mais qui sont également propulsés par différentiel gravifique et équipés d’armes au plasma qui tiennent tête aux nôtres…

Shimrra tendit un doigt vers le chœur des villips du Grand Hall.

— Qu’on me montre l’image de l’un de ces vaisseaux vivants !

Le Suprême Commandeur Laait se leva et adressa un signe de tête à la maîtresse des villips. Peu de temps après, une image spectrale se matérialisa, représentant un engin façonné à partir de rochers lisses, équipé de lance-plasma et d’emplacements de basals dovins.

Inclinant sa lourde tête de côté, Shimrra observa l’image en silence. Laait poursuivit :

— Les vaisseaux vivants ont semé la confusion dans les rangs de nos coraux skippers. Pire, le yammosk lui-même est perturbé. Il a du mal à différencier nos vaisseaux de ceux de l’ennemi.

Shimrra pivota vers Laait.

— Et pourquoi le Maître de Guerre n’a-t-il pas ordonné à son commandeur de mettre le cap sur Zonama Sekot avec ses vaisseaux de guerre ?

— C’est exactement ce que souhaite faire le Maître de Guerre, ô Elu des Dieux. Il attend simplement votre accord pour passer à l’action.

Shimrra ne répondit rien.

— Grand Seigneur ? demanda prudemment Laait après un très long silence.

— Que disent les oracles de tout ceci ? intervint enfin Onimi afin de détourner l’attention.

— Les augures nous paraissent troublants, Grand Seigneur, annonça la vieille sorcière qui servait de porte-parole aux oracles. La perspective de combattre des vaisseaux vivants va à l’encontre des plus sacrées de nos croyances. Même pour éprouver notre réelle valeur, les dieux eux-mêmes ne seraient pas allés jusqu’à commettre un tel sacrilège. Nous vous implorons, Seigneur, de nous expliquer comment les infidèles ont eu accès à la biotechnologie et comment on a pu les autoriser à créer des engins qui imitent les nôtres…

— Il y a autre chose, Seigneur, intervint une deuxième oracle. Plusieurs appareils ennemis se sont joués des vides orbitaux créés par nos basals dovins et sont parvenus à gagner la surface de Yuuzhan’tar. A l’heure actuelle, notre zone d’atterrissage principale est menacée.

Shimrra parut se secouer pour se sortir de sa torpeur.

— Dois-je rappeler à chacun d’entre vous que j’ai scrupuleusement étudié le huitième cortex et que je me suis entretenu avec Yun-Harla elle-même à ce sujet ?

L’oracle en chef hocha la tête.

— Nous ne l’avons pas oublié, Grand Seigneur. Mais nous demandons que ceci soit élucidé. Les anciennes prophéties et révélations seraient-elles fausses ? Auraient-elles été mal interprétées ? Serait-il possible que les dieux n’aient pas conçu ces vaisseaux vivants comme un test pour nous éprouver mais plutôt comme un témoignage de leur ralliement aux Jeedai ?

Les yeux de Shimrra étincelèrent comme des nova.

— Hérésie ! Hérésie ! Ici même ! Sous mon toit !

Il pointa son sceptre vers les oracles.

— Vos bouffonneries ont scellé les limites de votre utilité !

Il se tourna vers les massacreurs.

— Débarrassez-moi d’elles !

Deux guerriers déroulèrent leurs bâtons Amphi et avancèrent vers le groupe de quatre femmes. Les oracles n’offrirent aucune résistance. Avec dignité, elles tendirent le cou vers les armes reptiliennes. Sans le moindre geste superflu, les massacreurs les décapitèrent l’une après l’autre. Une tête roulait encore sur le sol lorsqu’un héraut pénétra dans le hall.

— Puissant Seigneur, le Grand Prêtre Jakan, la Maîtresse Modeleuse Qelah Kwaad et le Haut Préfet Drathul demandent audience.

Shimrra regagna son trône et s’assit.

— Fais-les entrer, Héraut, fais-les entrer…

Le trio représentant l’élite entra dans la salle en petites foulées. Ils ralentirent soudain l’allure en apercevant les quatre corps décapités.

Shimrra leur adressa un sourire.

— Elles ont eu l’audace de douter de mes interprétations de la révélation.

Son visage s’assombrit.

— Souvenez-vous-en. Bien. Il y a quelque chose qui vous préoccupe ?

— Aucunement, Puissant Seigneur, dit Drathul, improvisant. Ayant pris connaissance du rapport du Maître de Guerre au sujet des vaisseaux vivants, nous sommes venus vous proposer notre soutien et vous féliciter pour votre présence d’esprit. Les Yuuzhan Vong sont enthousiastes à l’idée que les dieux aient la volonté de nous tester encore plus.

— Et vous avez couru jusqu’ici pour me dire ça ? demanda Shimrra.

— Une question, Seigneur, intervint Jakan. Les dieux ont-ils vraiment fourni ces vaisseaux à l’Alliance ? Ou bien ces engins proviennent-ils de la planète vivante ?

Shimrra, l’air détaché, fit un geste vers Nom Anor.

— Réponds-lui, Préfet, puisque c’est toi notre expert concernant Zonama Sekot.

A la surprise de Jakan et de Qelah Kwaad, Nom Anor eut un furtif mouvement de recul. Il déglutit avec peine pour recouvrer sa voix.

— Suprême… je… je ne sais que ce qui m’a été rapporté par mes espions chez les hérétiques. Je… je soupçonne que les vaisseaux vivants n’existent pas.

Il parut retrouver de son assurance.

— Personnellement, je pense que les pilotes de nos coraux skippers ont été victimes d’une manipulation mentale des Jeedai.

Drathul, en proie à la colère, désigna l’image du vaisseau vivant retransmise par les villips.

— Et ça, c’est une manipulation mentale des Jeedai ?

Shimrra arbora un sourire sadique.

— Réponds à ton supérieur, Préfet Nom Anor.

Nom Anor se redressa en bombant le torse.

— Pourquoi pas ? Nous savons qu’ils sont capables de projeter de fausses images, qu’ils peuvent faire dire n’importe quoi aux esprits qu’ils manipulent. Nous savons aussi qu’ils sont parvenus à duper nos yammosk par le passé.

Shimrra reprit la parole avant que Drathul ait pu intervenir :

— Le Préfet Nom Anor doit être loué pour son inventivité. Mais, en fait, le vaisseau que nous présentent nos villips n’a rien d’une manipulation de l’esprit. Pour répondre à la question du Grand Prêtre Jakan, les dieux ont enseigné à la planète vivante comment créer ces monstruosités. Les Jeedai ne sont pas responsables.

Il marqua une courte pause.

— Ce sont les hérétiques qui nous imposent ce test. Les dieux n’ont pas l’intention de nous confier cette galaxie tant que les hérétiques et les Humiliés continueront à marcher librement parmi nous. Ils ne nous laisseront pas envoyer le vaisseau empoisonné vers sa destination tant que nous n’aurons pas rétabli l’équilibre ici, sur Yuuzhan’tar.

Onimi trotta jusqu’au centre du hall.

— Grand Seigneur… commença-t-il. Brisés sont nos cieux, ravagées sont nos terres, l’hérétique, à mes yeux, nous ne pouvons faire taire…

— J’en ai assez de tes rimes insolentes, Humilié ! l’interrompit Shimrra. Seules mes bonnes grâces t’ont épargné la vie menée d’ordinaire par ceux de ton espèce. Serais-tu, toi aussi, en train de douter de moi ? Est-ce que, toi aussi, tu crains notre défaite au point de rallier soudainement la cause des hérétiques ?

Onimi tomba à plat ventre juste en face du trône.

— Je demeure votre plus abject serviteur, ô Suprême.

Shimrra l’ignora purement et simplement :

— Les hérétiques doivent être éliminés !

Il se tourna vers le commandeur des massacreurs.

— Qu’on place la moitié de la garnison de la citadelle à la disposition du Préfet Nom Anor. Il conduira la campagne contre les hérétiques et les Humiliés. Aucun d’entre eux ne doit être épargné !

— A vos ordres, Grand Seigneur, dit le commandeur.

Comme un seul homme, les massacreurs pivotèrent et croisèrent les poings sur leurs épaules pour saluer Nom Anor.

Drathul, de plus en plus éberlué, regarda successivement Nom Anor puis Shimrra.

— Mais que faire pour Yuuzhan’tar, Seigneur ? Nos basals dovins sont saturés. L’ennemi est en train de transformer notre boucher en passoire…

— Je vais m’occuper de ceux qui profanent notre sol, dit Shimrra, dévisageant successivement Jakan, Qelah Kwaad et Drathul. Allez au Puits du Cerveau-Monde. Je vais m’entretenir avec lui et le préparer à votre arrivée.

— Et après ? demanda Jakan.

— Un temps pour chaque chose, Grand Prêtre.

D’un geste du bout des doigts, il congédia tout le monde, y compris Onimi. Pendant que l’élite était en train de quitter les lieux, Drathul attira Nom Anor sur le côté.

— Nous savons que le Commandeur Ekh’m Val a ramené un vaisseau Sekotan à Yuuzhan’tar, siffla-t-il entre ses dents. Tu l’as dit suffisamment fort pour qu’on t’entende, tu as également prétendu savoir comment mettre fin à Shimrra et à toute cette charade. Alors, qui sers-tu à présent en dissimulant la vérité, sachant que notre avenir est dans la balance, hein ?

— Je ne sers que moi-même, répondit Nom Anor sans s’emporter.

Drathul le repoussa violemment.

— Comme toujours. Si tu n’avais pas ta nouvelle légion de gardes du corps, je te tuerais bien sur-le-champ ! Mais tu vas mourir, Nom Anor, et avant la fin de cette journée. Si ce n’est pas de mes mains, ce sera de celles d’un autre !

Nom Anor se détourna de Drathul, observa Jakan, puis Qelah Kwaad et enfin Onimi, qui semblait l’étudier avec attention.

— Prenez un ticket et faites la queue, Haut Préfet, dit-il en pivotant à nouveau vers Drathul. On ne peut pas dire que je manque d’ennemis !

 

Un soldat humain frappa de sa main gantée contre le hublot circulaire de la Griffe Chiss de Jag qui gisait renversée.

— Ça va, là-dedans ? Vous tenez le coup ? cria-t-il.

D’un seul coup, la trappe d’accès au-dessus – en dessous, en réalité – de la tête de Jag s’ouvrit. Plusieurs mains se glissèrent dans le cockpit pour le libérer du harnais de sécurité qui le tenait encore attaché à son siège.

— Allez, tout le monde descend ! annonça la voix du soldat.

Jag se laissa porter par les mains de ses sauveteurs. Ceux-ci l’aidèrent à se redresser, une fois au sol. Le sang qui s’était accumulé dans son crâne se répartit enfin dans le reste de son corps et tout le paysage parut tourbillonner autour de lui. Quelqu’un l’aida à ôter son casque et on approcha de ses lèvres le goulot d’une gourde d’eau.

Après un long moment de vertige, Jag vit que sa Griffe avait perdu trois de ses panneaux solaires et qu’elle s’était écrasée, la tête en bas, dans les lianes enchevêtrées d’un très gros arbre fruitier qui s’élevait au milieu d’une mare fangeuse où poussaient des villips. Les soldats tout autour de lui portaient des réacteurs dorsaux, des casques à émetteur holographique et des biocombinaisons de combat. A travers les branches entrelacées, le ciel de Coruscant paraissait strié de météores, de flammes et d’innombrables vaisseaux – coraux skippers et chasseurs stellaires – piquant vers la surface. Des explosions se produisaient de façon incessante derrière d’épais nuages de fumée grise.

Des volutes de fumée flottaient également au-dessus de la mare nauséabonde. De toutes parts leur parvenaient les détonations de missiles à fragmentation et de torpilles, le sifflement des rayons laser, les hurlements des bêtes Yuuzhan Vong, les cris des guerriers assoiffés de sang… Les réverbérations du tumulte résonnaient entre les pans de corail yorik et les restes de façades digérées des magnifiques bâtiments qui se dressaient jadis à cet endroit.

— Il est blessé ? demanda quelqu’un, assez fort pour qu’on l’entende au milieu des fusillades.

Jag, reconnaissant le visage ridé du capitaine Judder Page sous le maquillage de commando, se palpa de la tête aux pieds.

— C’est bon, je suis en un seul morceau !

Page pivota vers son responsable des communications.

— Informez le contrôle des chasseurs, à bord du Droit de Diriger, que le colonel Fel est avec nous à la surface et qu’il est indemne.

— Attention ! cria une voix éloignée.

Page et les autres se couchèrent précipitamment, entraînant Jag avec eux. Une seconde plus tard, des essaims de scarabées tranchants et paralysants fusèrent au-dessus de leurs têtes, entre les arbres noueux, déchiquetant les lianes, pulvérisant les fruits, arrachant des branches. Deux explosions assourdissantes se produisirent aussitôt et la tornade de projectiles vivants se volatilisa d’un coup.

Un détachement d’Ailes-X jaunes, rayées de noir, fila au-dessus de la cime des arbres, pilonnant une cible invisible de leurs quadrilasers. Page, Jag et les autres attendirent un peu, puis se relevèrent, tout doucement. Des droïdes de combat, blindés au laminanium, avaient formé un périmètre défensif à l’orée des arbres. Près de ce qui restait de la Griffe de Jag, deux droïdes médicaux étaient en train de panser les blessures de quelques humains et Bothan.

Page tendit la main.

— Je suis le capitaine…

— Je sais qui vous êtes, dit Jag. Merci d’être venu à mon secours.

Page fit un geste pour signifier que ce n’était rien, puis présenta les deux hommes qui se tenaient à ses côtés.

— Garik Loran, dit-il, désignant celui qui avait le crâne rasé. Kell Tainer, indiquant l’autre, à la calvitie naissante.

— De l’Escadron Spectre, n’est-ce pas ? dit Jag, serrant les mains de tous. On s’est rencontrés sur Borleias.

Il se tourna vers Page.

— Avant que ma Griffe se fasse descendre, j’ai vu le transport numéro deux s’écraser.

Page hocha la tête de façon lugubre.

— Les grutchins l’ont grignoté de l’intérieur. Nous avons envoyé une équipe vers le canyon pour voir s’il y a des survivants.

— Capitaine Page ? l’interrompit un jeune Bothan. Nous avons établi un contact avec les forces indigènes.

Jag, Page et les deux agents de renseignements de l’Escadron Spectre se tournèrent et virent qu’on venait d’introduire quatre mâles Yuuzhan Vong dans le périmètre. Ces humanoïdes n’étaient pas aussi scarifiés que les guerriers Yuuzhan Vong que Jag avait déjà rencontrés. Tous les quatre, cependant, souffraient de difformités, l’un au visage, les trois autres aux membres.

Des Humiliés, se dit-il.

Le plus grand et le plus difforme du groupe exécuta un vague salut semblable à celui de l’Alliance.

— Conduisez-nous à vos chefs, annonça-t-il presque machinalement en Basique.

Garik Loran et Kell Tainer échangèrent un regard sceptique.

— Qui vous a appris à dire ça ? demanda Loran.

— C’est moi ! répondit quelqu’un avec un fort accent de Coruscant.

L’Humilié pressa son index contre son oreille droite, probablement pour ajuster son tizowyrm de traduction. Simultanément, un humain grand et mince, aux cheveux noirs, apparut entre les arbres et sourit aux deux Spectre.

— Nom d’un blaster ! dit Tainer, souriant à son tour. Baljos Amjak !

Jag avait déjà entendu ce nom. Faisant également partie des Spectre, Amjak était resté sur Coruscant suite à l’opération d’infiltration menée conjointement par l’escadron et les Jedi près de deux ans auparavant. Avec lui se trouvait un homme assez mince, en pleine force de l’âge, cheveux roux, dents étincelantes, bronzage impeccable.

Souriant à son tour, Page courut serrer la main de l’homme avant de le prendre dans ses bras.

— J’ai toujours su que t’allais survivre ! dit Page quand ils eurent fini de s’administrer mutuellement de longues claques amicales dans le dos.

L’homme aux cheveux roux désigna les quatre Yuuzhan Vong.

— C’est grâce à eux. Leur groupe d’hérétiques nous ont sauvés, moi et quelques autres, de ce qui aurait pu devenir un sacré bain de sang à l’un des temples…

Page se tourna vers Jag.

— Fel ? Je vous présente le Major Pash Cracken.

Jag hocha la tête pour le saluer. Coruscant commençait à ressembler à un point de rendez-vous pour vétérans.

— Combien de temps pour atteindre Westport d’ici ? demanda Page.

— Ça aurait pu prendre une heure, mais j’ai l’impression qu’il est trop tard…

Cracken fit signe à tout le monde de le suivre jusqu’à la bordure du périmètre de sécurité. Là, il indiqua l’horizon vers le nord, d’où s’élevait une colonne de fumée si dense qu’elle paraissait solide.

— Le quartier sacré tout entier est en flammes.

Page glissa un blaster dans la main gantée de Jag.

— Bienvenue chez les commandos, Colonel ! lui dit-il.

 

— Les incendies sont l’œuvre de Shimrra, dit Harrar. Le Seigneur Suprême a certainement demandé au Cerveau-Monde de mettre le feu à Yuuzhan’tar afin d’empêcher quiconque de l’occuper.

Le prêtre paraissait découragé.

— Shimrra doit avoir peur de perdre, sinon, il n’aurait jamais fait une chose pareille. Ou bien la présence de Zonama Sekot l’a rendu fou.

— Qu’il soit désespéré ou cinglé, l’essentiel, c’est qu’on le fasse déguerpir, dit Han d’un ton joyeux.

Harrar regarda tout autour de lui. Au vu des hochements de tête alentour, ce Han Solo, toujours distrayant et parfois déroutant, semblait exprimer le sentiment de tous ceux qui se trouvaient sur la plate-forme : l’épouse de Solo, Leia ; le Maître Jedi Luke Skywalker et sa femme, Mara ; les jumeaux Jacen et Jaina ; Tahiri, marquée jadis par les Yuuzhan Vong ; Jabitha, magister de Zonama Sekot ; ces deux machines intelligentes aux appellations numériques, ces fameux droïdes, qui semblaient parfois aussi vivants que leurs concepteurs ou propriétaires, et enfin ces deux Noghri qui paraissaient remplir les rôles à la fois de gardes du corps, animaux de compagnie et amis.

Les autres Jedi avaient pris leur envol à bord de leurs vaisseaux Sekotan ou bien avaient été conduits jusqu’à leurs navires de guerre sur orbite, à bord de la navette. Han Solo était brièvement retourné dans l’espace avec les Chevaliers Errants, mais uniquement pour aller chercher son appareil, le Faucon Millenium, qui, par autorisation spéciale de Sekot, était à présent stationné sur l’aire d’atterrissage à côté de l’Ombre de Jade de Mara Skywalker. Des rapports sur les destructions se propageant à la surface de Yuuzhan’tar avaient été envoyés par Booster Terrik. Celui-ci était l’avant-dernier maillon d’une chaîne de communication qui démarrait avec les équipes de commandos infiltrés sur Yuuzhan’tar et comprenait les navires de guerre géants Droit de Diriger et Mon Mothma.

— Comment Shimrra a-t-il pu convaincre le dhuryam de faire quelque chose qui soit nuisible à Yuuzhan’tar ? demanda Jacen.

— Toute entité Yuuzhan Vong dépend directement de Shimrra, répondit Harrar. Le dhuryam est responsable de l’activité de tous les organismes en charge des transformations planétaires. Ce n’est pas un serviteur, c’est un partenaire. Il est intelligent, conscient, capable de prendre des décisions basées sur les informations qu’il reçoit, de façon télépathique, des autres organismes et du Seigneur Suprême en personne. Shimrra a peut-être convaincu le dhuryam que les incendies étaient nécessaires à l’éclosion de certaines cosses tardives, afin que des arbres puissent pousser en remplacement de ceux détruits par les tremblements de terre récents. Il a peut-être suggéré au dhuryam de créer des clairières dans les forêts, afin que le soleil et les matières nutritives des végétaux environnants contribuent à régénérer les sols couverts de cendres…

— Raison de plus pour s’attaquer à Shimrra maintenant ! insista Han, faisant les cent pas près de la rampe d’accès du Faucon Millenium. Si Page a réussi à faire franchir les basals dovins à ses transports, je sais que je peux y arriver avec le Faucon.

Harrar secoua la tête.

— Quoi encore ? demanda Han, plantant ses mains sur ses hanches en geste d’impatience.

— Capturer ou tuer Shimrra ne sera peut-être pas suffisant pour sauver la planète. Les actions entreprises par le Cerveau-Monde sont irréversibles. Une fois lancé dans sa tâche, personne ne peut le convaincre de modifier ses plans, pas même Shimrra.

Harrar regarda les époux Skywalker.

— Si vous souhaitez sauver votre planète capitale, il vous faudra également détruire le cerveau…

— On ne peut pas faire ça, Harrar, l’interrompit Jacen.

Harrar se tourna vers le jeune Jedi.

— Alors, va le trouver, toi, et essaye de le persuader du contraire.

— Ça, c’est notre boulot, dit soudain Han en prenant la main droite de Leia dans la sienne.

Jabitha, les droïdes et les Jedi l’observèrent, visiblement inquiets.

— Vous ne croyez quand même pas que je vais me contenter de vous emmener là-bas !

Il désigna le Faucon Millenium d’un revers du pouce.

— Ce coucou n’est pas un taxi !

Il ricana tristement puis redevint solennel :

— De plus, on a démarré tous ensemble à la Bordure Extérieure, et c’est ensemble que nous allons terminer cette histoire !

— Ou bien, il ne s’appelle plus Han Solo, ajouta Leia, entre l’amusement et la résignation.

Han lui adressa un petit sourire en coin.

— Voilà, elle m’a arraché les mots de la bouche !